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Un récit court et documenté pour éclairer une mutation technologique, scientifique, industrielle, commerciale, sociale ou artistique venant de Chine.

Plus la Chine est présente dans le monde, moins les Français y sont présents.

Nous publions ici une tribune de Franck Desevedavy, avocat aux barreaux de Paris et de Taipei, qui exerce en Asie depuis 1996.


Jean-François Billeter a sa place dans chaque bibliothèque de sinophile. Lorsqu’il regrettait que la Chine soit de plus en plus présente dans le monde mais paradoxalement comme absente, il déplorait une Chine trois fois muette. Serions-nous désormais dans l’incapacité de la voir, l’entendre ou la comprendre ?


En 2020, la Chine a mené le septième recensement national de sa population, qui met à jour les statistiques chinoises et cartographie avec précision les tendances des changements démographiques. Entre 2010 et 2020, le nombre d'expatriés vivant en Chine continentale a considérablement augmenté pour atteindre officiellement 845 697 étrangers, contre 593 832 dix ans plus tôt ; ces chiffres n’incluant pas les près de 600 000 expatriés de Hong Kong, Macao et Taïwan, ces derniers étant en outre beaucoup plus nombreux mais moins visibles d’un point de vue statistique du fait de l’utilisation d’un titre de transport les dispensant des démarches propres aux étrangers résidant en Chine. Le dernier recensement fournit des informations abondantes et précieuses sur les expatriés en Chine, y compris la composition par sexe, la répartition géographique, etc. Cependant, ce recensement a fait l’objet d’une publication partielle, et depuis le 1er novembre 2020 (date de publication des résultats du recensement), la Chine et le reste du monde ont été affectés par le Covid-19.

Retenons qu’en 2020, 52.46% de ces étrangers sont des femmes, la plupart résidant en Chine depuis plus de 5 années (la prééminence des longs séjours est une nouveauté des dix dernières années), et venant dans la quasi-totalité des situations pour y exercer une activité professionnelle (ou en accompagnant une personne expatriée pour raisons professionnelles), outre bien évidemment les étudiants. La province du Guangdong, en bordure de Hong Kong, accueille plus de 400 000 étrangers, devant celle du Yunnan ; 163 954 étrangers habitent Shanghai et un peu plus de 62 000 à Pékin. Les Taïwanais, les Coréens (du sud), les Américains et les Japonais forment les communautés les plus importantes, loin devant chaque nation européenne. Français et Allemands ont des représentations équivalentes en nombre, les Français étant ces dernières années la plus forte communauté des pays européens en Chine.


Une étude approfondie de ces chiffres et des évolutions qui marquent la communauté des expatriés en Chine suggère cependant une situation et une tendance désormais nouvelles.


Tout d’abord, et même en acceptant le fait que les chiffres du recensement sont très certainement en-deçà de la population étrangère effectivement en Chine, ce pays ne compte pas plus de 0.1% d’étrangers. Pour une des économies les plus importantes du monde, ce chiffre est étonnamment faible. Le Japon ou la Corée accueillent plus de 2% d’étrangers dans leur population ; et, même s’il est plus difficile de comparer Asie et Europe sur ce point, les taux de France et d’Allemagne sont plutôt autour de 10%. Même en ne retenant que les villes chinoises les plus cosmopolites, la population de Pékin est à 0.5% étrangère (même niveau que le Cambodge) et celle de Shanghai à 0.8% (comparable au Laos et à la Mongolie).



Plus significatives sont probablement les tendances : entre 2010 et 2020 – et avant que l’effet Covid ne puisse être mesuré – Shanghai a perdu 20% de ses expatriés, et Beijing 40% de ses étrangers.


6% des Français de l’étranger sont basés en Asie, ce qui est une faible projection compte tenu de l’importance économique et stratégique de cette région du monde ; 24% des français d’Asie sont en Chine.


En 2019, 28 934 français étaient enregistrés sur les registres des français résidant en Chine, incluant Hong Kong. En 2020, ils n’étaient plus que 27 216 ; en 2021 : 24 106. Nous attendons de connaître les recensements de fin 2022 qui sont en train d’être faits par nos consulats ; aucun doute sur le fait que la population française aura à nouveau diminué.


L’accent est souvent mis ces deux dernières années sur l’effet Covid-19 qui demeure incontestable (et encore inabouti) tant il est difficile de sortir de Chine (du fait des contraintes du retour) ou de décider de s’expatrier durablement dans un pays en sachant que les multiples retours en France sont désormais et durablement quasi-impossibles. 70% des membres de la Chambre de commerce américaine à Shanghai éprouvent de graves difficultés à recruter ou maintenir des équipes en Chine, quand un tiers des expatriés européens pourraient ne jamais revenir à Pékin, Shanghai ou Hong Kong. Les derniers mois ont été éprouvants pour les habitants de Shanghai (longuement confinés), ou ceux de toutes villes d’importance en Chine soumises à des tests incessants, des confinements ciblés mais inopinés, et plus généralement à une incertitude quotidienne.


Nous aurions cependant tort de ne pas élargir la focale : en 2017, 64 000 français vivaient en Chine. Ainsi, la population française de Hong Kong a été divisée par deux en moins de 5 ans et avant tout effet Covid-19, celle de Shanghai a perdu 60% de ses membres et Pékin compte 70% de Français en moins.


Les causes de cet exode sont multiples, le Covid-19 n’étant désormais qu’un accélérateur conjoncturel d’un phénomène plus structurel : la Chine connait une croissance plus maitrisée, et moins dépendante des investissements étrangers ; les projets d’implantations nouvelles, souvent dépendantes de compétences étrangères, ont mécaniquement diminués. La Chine s’est dotée depuis 30 ans d’universités performantes, de professionnels formés à l’étranger ou par des étrangers ; la sinisation des équipes s’impose naturellement tant les talents chinois concurrencent aujourd’hui nos meilleurs français. Le coût de la vie des expatriés en Chine est souvent dirimant. La fin annoncée du traitement fiscal avantageux au profit des étrangers, la pollution persistante (nonobstant sa baisse incontestable depuis près de 10 ans), les tensions commerciales, la dégradation de l’image de la Chine en Europe, la baisse des échanges universitaires et d’autres facteurs probablement ne sauraient inverser la tendance générale.


En cinq années, plus de 40 000 français ont quitté la Chine et cela doit nous inquiéter. Nous diminuons nos relations avec la nation la plus peuplée du monde, et consécutivement notre capacité à la comprendre ; inutile d’évoquer notre ambition de pouvoir l’influencer qui mécaniquement s’affaiblit. Nous nous éloignons de la première zone de croissance économique du monde, des entreprises parmi les plus performantes, d’une recherche et d’une innovation qui vont bousculer le monde et d’une jeunesse audacieuse. Et ce que savaient ces 40 000 français de la Chine de 2017 est le plus souvent déjà obsolète, tant ce pays évolue très rapidement. Il serait bon que nous refusions de devoir un jour reprendre la sentence de l’un des consuls français de la Chine de l’entre-deux-guerres : j’ai l’honneur de vous faire savoir que la Chine évolue dans un sens que j’ignore.

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